LE RÉEL TEL QUE NOUS LE PERCEVONS COMMUNÉMENT N’EXISTERAIT PAS. SI CETTE AFFIRMATION S’AVÉRAIT VÉRIFIÉE, CELA POURRAIT LAISSER ENTENDRE QUE CES QUELQUES MOTS NE SONT PAS IMPRIMÉS ET QUE TOI, CHER LECTEUR, TU NE SERAIS QU’UNE PROJECTION DE MON IMAGINATION CRÉÉE DANS MON CERVEAU DONT IL SERAIT RAISONNABLE DE DOUTER DE L’EXISTENCE.
Comme au théâtre, revenons à l’ordre d’apparition. D’abord quoi? de l’énergie? de la relation? de la vibration? une équation? les scientifiques hésitent… Pourquoi pas de la PEINTURE? On pourrait y voir une réponse à la question que les physiciens quantiques tentent d’élucider depuis plus d’un siècle sur cette fameuse «réduction du paquet d’ondes». Ce passage qui vient fixer le monde subatomique pour nous propulser dans le notre par le seul regard. Resterait à savoir si c’est le regard qui crée l’oeuvre ou l’oeuvre qui contient tous les possibles.
Dans ce cas, serait-il envisageable qu’une impression rentrant dans notre cerveau puisse transformer notre évaluation des différentes opportunités pour les impressions que nous pourrions recevoir dans le futur? Que toi, lecteur qui commence ce texte puisse influencer les différentes images qui vont t’apparaître au fil des pages?
Tout au moins, dans cette sorte de probabilité d’exister, il semblerait que la peinture aurait comme une sorte de volonté propre à se matérialiser par elle-même. Elle ne va pas reproduire le monde achevé, fermé que nous connaissons mais un univers en train de se créer. Grace à elle, il y a moyen de produire des images qui reposent sur une assise non solide, qui soit comme une succession d’états qui se figent dans le temps La toile agirait comme une possibilité d’immobiliser une tension en mouvement. On irait chercher dans ce surgissement d’atomes appartenant à l’instant d’avant, un aspect qui vient se refermer puis se figer en statue de sel. Ce serait tenter de saisir sur le vif ce qui nous renvoie à une parcelle d’immobile éternité.
Mais peut-être n’est-il que de poser la peinture comme une question? Lui insuffler suffisamment de doute pour qu’elle ne soit pas trop certaine de son existence. La présupposer en état d’incertitude pour rester au SEUIL de différents possibles. Là, juste à l’orée de la forêt sombre, du tunnel accélérateur, du vide. Mais n’est ce pas déjà trop nommer…?
Se fait sentir le besoin d’expérience à court de mots. Le besoin de ne rien garder de stable, à accepter l’ignorance, le doute. On rêve à une virginité mentale sans référent; que RIEN ne puisse évoquer une quelconque construction articulée autours du langage. Tache impossible, on le sait bien, car, dans notre monde intelligible, on ne peut séparer la forme de son interprétation.
Pourtant la peinture semble échapper partiellement, par oubli peut-être, à cette hégémonie de la pensée. La peinture comme un refuge silencieux, où le vacarme des mots reste à la porte.
L’image fixe a cela de particulier qu’elle porte en elle la chance d’une révélation; elle semble être un point de passage entre un monde tranquille, universel, intemporel et le notre qui n’est qu’une succession de flash posés sur le Time-line de notre vie et que nous ne pouvons arrêter.
Cher lecteur, comment faire pour s’y retrouver?
Ces toiles se présentent comme témoin d’un processus qui tenterait de figer le temps et qui concentrerait en un seul plan la représentation du réel et un espace plat, abstrait. Qui parlerait en simultané de l’abstraction du réel.
C’est comme si en s’attaquant au temps, on modifiait l’espace.
L’espace n’est sans doute pas homogène. L’espace dans la peinture est très différent de celui qui nous a été proposé avec l’image photographique. Ce dernier s’est imposé très rapidement comme définissant la norme. Pour preuve, il confirme de manière éclatante les lois de la perspective. Je me plais pourtant à imaginer quel pouvait être le champs mental de nos ancêtres avant Euclide et Pierro de la Francesca.
La peinture, quand à elle, porte tant de possibilités transformatrices que nos esprits ont accepté depuis longtemps ces écarts vis vis de notre représentation commune de la réalité. La peinture fait ce qu’elle veut, on lui permet tout au motif qu’elle ne met pas en danger notre vision du réel. Pourtant si elle reste plus spécifiquement un miroir de nos imaginaires, elle est aussi une porte vers la dislocation du monde. Cette brèche nécessaire vers la réalité d’à côté. Ici, c’est une proposition de destruction de l’illusion normée par l’injection de substances picturales à travers des tirages photographiques. Certes, ces deux médiums n’ont pas le même langage et possèdent des référents bien séparés. Qu’il en soit ainsi! : a priori inconciliable, le trouble de leur mélange provoque une déstabilisation recherchée. Néanmoins, le glissement nécessairement subtil par la fusion/confusion de ces deux mondes ne fonctionnera que si la peinture ne l’emporte pas, qu’elle ne nous entraine pas dans l’imaginaire -ce qui n’exclue pas la survivance de la mémoire du monde- et que l’ensemble puisse nous proposer un équilibre, une nouvelle représentation, qui pendant quelques instants propose une autre réalité tout aussi crédible.
C’est un cache-cache avec la matérialité, un chemin ou un état au plus près de la substance du visible. Des images qui soulèveraient jusqu’à la question de leur existence. Des images dont l’aspect paradoxal nous aiderait à dépasser ce que nous croyons, ce que nous croyons entendre, croyons voir, croyons percevoir, qui nous entrainerait en dehors de la pensée fonctionnelle, D’où la volonté de cultiver la «dé-fonction» et de chercher dans l’absurde, dans l’immense hasard.
Car il existe une autre façon de percevoir la réalité. Elle peut apparaitre plus belle, plus universelle, unifiée dans une évidence.
Lecteur, est-ce toi qui m’a fait écrire tout cela? Permets moi de t’attraper au «coin de ton oeil» là où l’on voit sans vraiment voir. Sais tu que quand nous lisons un texte, seul le mot que nous fixons apparaist net. Pour des raisons de flux et d’encodages nous ne pouvons tout voir en simultané, tout le reste de la page reste flou. Qu’en est-il alors quand on tente d’appréhender un tableau dans son ensemble? Est-ce le même rapport qu’entre le point de vue projectionnel et la dissolution de l’espace? Serait-il possible que toute la matière ne soit que de l’énergie qui se propage comme une vibration?
Nous ne serions dans ce cas qu’une seule et même conscience qui se développerait et se vivrait en toute subjectivité. Nous ne serions que l’image virtuelle de nous-même.